Mis en service depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze (1995), près de 14 enfants souffrant de divers types de cancers, en d’autres termes de pathologies lourdes, sont hospitalisés à l’Unité d’Oncologie pédiatrique du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Treichville quand dix (10) à quinze (15) autres viennent en consultation à l’hôpital du jour. Tous auraient voulu courir, gambader et aller à l’école comme tous les enfants de leur âge. Mais non, en lieu et place, ils doivent subir une batterie d’examens (échographies, IRM scanners) qui plus est, n’est pas toujours à la portée de leurs parents qui lèvent les yeux au ciel, espérant qu’une âme charitable vienne à leur secours. A l’occasion d’un reportage lundi 31 octobre et mercredi 3 novembre 2022, nous avons fait une incursion dans l’univers de ces enfants malades du cancer. Médecins et parents des patients n’attendent qu’une chose. Du matériel et des médicaments pour une prise en charge efficiente des malades car le cancer de l’enfant est guérissable.
Le cancer, une pathologie lourde
Le cancer englobe un groupe de maladies se caractérisant par la multiplication et la propagation anarchique de cellules anormales. Si les cellules cancéreuses ne sont pas éliminées, l’évolution de la maladie va mener plus ou moins rapidement au décès de la personne touchée. C’est une pathologie lourde.
Près de 30 enfants suivis actuellement au CHU de Treichville
« Au moment où nous sommes en train d’échanger ce matin (Ndlr jeudi 3 novembre 2022) nous avons 14 patients hospitalisés. Nous avons des patients en hospitalisation que nous suivons et nous avons l’hôpital du jour où nous recevons les patients qui viennent en consultation .Dans ce pool de patients, vous avez ceux qui arrivent pour la première fois dans nos services, ceux que nous suivons pour la prise en charge de leur pathologie cancéreuse et ceux qui sont en entretien c’est-à-dire en rémission complète donc en phase de surveillance. C’est après deux à trois ans de suivi que nous pouvons nous permettre de dire qu’ils sont guéris. Mais ces dernières années, il est conseillé de monter le suivi à cinq (5) ans avant de déclarer la guérison de l’enfant qui souffre du cancer», a précisé Dr N’doumy Kouakou Marc, assistant hospitalier, oncopédiatre au Centre Hospitalier universitaire (CHU) de Treichville.
Les différents types de cancers de l’enfant
« Très souvent, ce sont des enfants qui ont soit le cancer du rein qu’on appelle le néphroblastome soit le cancer de l’œil qu’on appelle le rétinoblastome. Pour ceux qui souffrent du lymphome de Burkitt ou de leucémie, on les reçoit à l’hôpital du jour après leur sortie d’hospitalisation, pour faire leur contrôle. Le lymphome de Burkitt est le cancer le plus fréquent en Côte d’Ivoire. Les enfants atteints de leucémie peuvent passer un ou deux mois d’hospitalisation, en fonction de leur état clinique », a éclairé Dr Yao Guy Constant également oncopédiatre au CHU de Treichville. Mais comment reconnait-on un tel ou autre cancer de l’enfant ?
Les signes apparents qui peuvent alerter les parents
« Selon le type de cancer, les signes d’appel diffèrent. Un parent qui constate que son enfant a par exemple un ganglion cervical qui persiste après trois (3) semaines et augmente de volume sans raison apparente après une prescription, cela doit être un signe d’alarme. Même si l’enfant court, saute, mange et dort correctement, la persistance de ce ganglion doit pousser à faire des examens pour comprendre ce qui se passe. On a aussi un ventre qui se met à augmenter de volume. Souvent ce qui se passe, c’est que les gens vont dans les centres de santé et on fait un déparasitage. Mais après un premier puis un deuxième déparasitage, si le ventre continue d’augmenter de volume, il faut s’inquiéter. Pour les leucémies, la plupart des enfants que nous recevons, quand ils n’ont pas été diagnostiqués en périphérie, ils viennent souvent pour un paludisme de forme grave anémique. Ils ont une fièvre et une anémie. A l’examen du sang, si le médecin ne prête pas attention aux résultats de la numération formule sanguine pour voir s’il y a des anomalies qui ne s’expliquent pas dans le cas d’un paludisme et ensuite chercher à faire des examens plus poussés, ça passe inaperçu. Des fois, les enfants arrivent et on diagnostique un paludisme de forme grave anémique. Mais s’il tombe sur un médecin qui prête attention aux résultats de la numération formule sanguine, il va dire que ce n’est pas normal qu’on le transfuse comme ça. Dans le cas du rétinoblastome, le signe le plus fréquent, c’est un œil qui brille dans le noir. On parle d’œil de chat. En tout cas, les manifestations sont variées », renseigne Dr Line Couichéré, Oncopédiatre.
Cancer : causes ou facteurs de risques ?
Selon Dr Yao Guy, « en matière de cancer de l’enfant, on parle plutôt de facteur de risques que de causes. Mais, il peut avoir des facteurs génétiques pour certains cancers comme le rétinoblastome. C’est-à-dire qu’un parent qui avait ce cancer-là peut le transmettre à son enfant. C’est pourquoi, dans la lignée familiale où on a diagnostiqué des cas de rétinoblastome, on est obligé de faire la sensibilisation et d’examiner pratiquement tous les enfants pour dépister ce cancer dans cette famille . Il peut avoir d’autres facteurs comme le virus de l’Hépatite B qui peut à la longue donner le cancer du foie que les enfants peuvent avoir. On a aussi un virus D’Epstein Barr qu’on retrouve à l’Ouest .Dans les zones forestières, les enfants développent beaucoup plus le lymphome de Burkitt. Ce sont ces facteurs de risques qui peuvent entrainer la survenue de cancer chez des enfants. Le cancer se guérit. Malheureusement, on peut assister à des décès. Le gros souci aujourd’hui c’est que la grande majorité de nos enfants arrive très tard, à des stades avancés de métastase. C’est dans ce groupe qu’on a beaucoup de décès parce que les enfants arrivent dans des cas critiques avec souvent une malnutrition, des anémies et des surinfections et ça grève forcément le pronostic de ces enfants. Quand ces enfants arrivent tôt, leurs chances de guérison peuvent être estimées à 70 à 90 %. C’est pourquoi, depuis 2015, on mène des campagnes de sensibilisation auprès des médecins, des infirmiers, des sages-femmes voire des travailleurs communautaires pour sensibiliser les populations pour que les enfants puissent arriver plus tôt pour pouvoir faire la prise en charge et les guérir de leur cancer ».
Les 3 types de traitement qui peuvent sauver ces enfants
Il y a 3 types de traitement du cancer. En dehors de la chimiothérapie, il y a la chirurgie et la radiothérapie. « Lorsque nous avons fini la première étape qui consiste à faire le bilan dans lequel il y a le diagnostic, nous faisons le bilan terrain et nous faisons le bilan pré-thérapeutique. Après avoir fait le diagnostic, nous allons classer le patient puis nous allons passer à la prise en charge qui est pluridisciplinaire. Vous avez des prises en charge qui tiennent compte de la chirurgie, de la chimiothérapie que nous faisons ici et de la radiothérapie qui est faite à Cocody au centre Alassane Ouattara », indique Dr N’doumy Kouakou. « Toutefois, pour dire la vérité, ces traitements ne sont pas à la portée de la plupart des parents. Ces traitements sont onéreux. Ils coûtent chers. Et malheureusement, la plupart de nos parents sont démunis, ils n’ont vraiment pas les moyens pour la prise en charge de leur enfant. Aujourd’hui, s’ils le sont, c’est grâce à l’intervention de certaines ONG nationales ou internationales comme le groupe franco-africain d’oncologie pédiatrique qui, chaque année, nous fait don de médicaments pour traiter ces enfants. Il y a aussi des personnes de bonnes volontés qui viennent en aide à ces enfants pour le traitement de leur cancer. Si ça ne tenait qu’aux parents, ça va être difficile de traiter ces enfants », a fait savoir Dr Yao Guy qui ne croyait pas si bien dire. En voici la preuve.
Des parents racontent leur galère
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Dans les chambres d’hospitalisation réhabilitées par le Lions Club d’Abidjan, des enfants malades de divers types de cancer luttent pour leur survie. Avec un gros bandage couvrant toute la tête et l’œil gauche, la petite Diallo Mariam, âgée de 2 ans 5 mois est internée depuis 2 mois suite à un rétinoblastome. Elle a été opérée mais elle n’est pas encore sortie de l’auberge. Dans une autre chambre, Niangbé Christ Emmanuel, âgé de 10 ans est atteint du cancer du sang. En classe de CM1 dans une école à Arrah, il a été contraint d’abandonner l’école. Aux côtés de son fils, N’da Elodie raconte. « On est là depuis le 20 octobre. Il chauffait donc j’ai demandé à son père de le faire venir à Abidjan. Nous sommes allés en consultation à l’Hôpital d’Azito puis on nous a référé au CHU de Cocody. Après deux semaines, ils ont découvert qu’il a un cancer de sang et ils nous ont transféré ici au CHU de Treichville. Vraiment, ce n’est pas facile pour moi. Les soins coûtent chers. J’ai un examen de sang de 305 000 mille sous la main et je n’ai même pas encore fait parce que je n’ai même pas les moyens. Les ordonnances, quand j’ai de l’argent, je vais les acheter. Sinon, j’attends qu’on m’envoie de l’argent avant d’aller payer. Les médicaments sont vraiment chers. Il y a un médicament que tu peux trouver à trente mille francs (30000FCFA). Je suis allée payer un petit flacon de médicament à 22 800 Fcfa. Je demande de l’aide parce que ce n’est pas facile», a confié la mère, visiblement déprimée. Camara Awa, mère de Diallo Mariam raconte ce qu’a vécu son bébé avant d’arriver au CHU de Treichville. « J’ai vu un truc blanc sur son œil. Elle pleurait beaucoup. La nuit, elle n’arrivait pas à dormir. Mais depuis qu’ils ont commencé la chimiothérapie, ses pleurs ont diminué. Mais en plus de la chimiothérapie, on doit acheter des médicaments. Souvent on nous donne ici souvent on va acheter. Vraiment, c’est dur », soupire-t-elle. Dr Yao Guy, également oncopédiatre ne dit pas autre chose même s’il tente de relativiser. « On reçoit aujourd’hui les enfants de toutes les régions de la Côte d’Ivoire qui dépassent Bouaké et qui viennent à Abidjan. L’unité de Bouaké est ouverte mais le gros souci c’est qu’ils n’ont pas à disposition les médicaments. Et le GFAOP ne fournit pas de médicaments à la structure de Bouaké. Lorsqu’ils font le diagnostic, ils sont obligés de nous envoyer les enfants ici pour leur traitement. Le coût du traitement est relatif. Il dépend du type de cancer, du stade du cancer et de l’évolution. Le traitement du cancer tourne autour d’un million à environ 30 millions de FCFA », reconnait-il.
La batterie de besoins du personnel pour sauver ces innocents
Pour une prise en charge efficiente de ces petits êtres qui luttent pour vivre, les spécialistes du cancer égrènent leurs besoins. Ils insistent beaucoup sur la nécessité d’avoir le matériel et surtout les médicaments. « Au niveau du personnel, on est en sous-effectif et le matériel manque. On a une hotte qu’il faut entretenir. Le matériel qu’on utilise pour la maintenance vient de l’Europe et c’est souvent difficile de l’avoir à temps pour permettre à la hotte d’être fonctionnelle tout le temps. En dehors de ça, il y a des équipements pour l’aspiration des enfants qui sont en détresse, ça nous pose également problème. On a aussi un manque de barbotteurs pour les enfants qui ont besoin d’oxygène. Les enfants qui arrivent ont très souvent beaucoup de douleur. Donc il faut souvent passer à la morphine pour pouvoir soulager la douleur. Pour faire passer la morphine, on a besoin de seringues électriques .Malheureusement, ce matériel manque et on est obligé de faire des injections en sous cutané pour calmer la douleur et ça devient encore plus pénible pour l’enfant, pour la famille et le personnel soignant », a renseigné Dr Yao Guy qui précise qu’ils ont une seule hotte vu la capacité d’accueil du service et le volume de chimiothérapies qu’ils préparent par jour. Mais, s’empresse-t-il de renchérir : « s’il y en a d’autres, ce sera vraiment la bienvenue vu qu’on compte agrandir le service et surtout vu que le nombre de cas s’accroit par an. On était autour de 200 cas en 2015 et on est aujourd’hui à environ 300 cas par an. On constate que le nombre d’enfants malades du cancer augmente, et donc le matériel devrait suivre. La hotte sert à préparer la chimiothérapie. C’est un appareil qui est vraiment très utile pour nous ».
Dr N’doumy Kouakou Marc, lui, insiste sur la mise à disposition des médicaments. Selon lui, si la Côte d’Ivoire veut atteindre le taux de rémission des pays développés, il faut que les médicaments soient disponibles tout comme la chimiothérapie. Or, ce n’est pas souvent le cas et donc, il lance un véritable cri du cœur. « Le message que nous voulons lancer porte sur l’adhésion à la démarche que nous avons déployée depuis 2015. C’est le diagnostic précoce. On ne cessera pas de le dire, le cancer de l’enfant est guérissable pourvu que le diagnostic soit précoce. En Europe, ils ont des taux de rémission qui sont au-delà des 90%. C’est-à-dire que sur 100% d’enfants ayant le cancer, il n’y en a que dix qui ne vont pas survivre alors qu’ici, il y a 15 ans, on était à peine à 10% de rémission. Heureusement, aujourd’hui, avec la sensibilisation et l’intervention de l’Etat, les choses se sont améliorées. Nous avoisinons les 40 % de rémission et c’est un chiffre qui atteste de l’importance du diagnostic précoce et de l’importance de moyens à mettre à disposition afin qu’on puisse atteindre le niveau des pays développés. Quand je parle de moyens, je fais allusion à la chimiothérapie et aux médicaments. Ce ne sont pas des molécules qui courent les rues. C’est toute une stratégie de prise en charge qu’il faut mettre en place afin que ces molécules puissent être disponibles. Il faut aussi préciser que ce sont des molécules qui coûtent chers et donc il faut pouvoir mettre à disposition les molécules et le matériel pour la chirurgie en cancérologie », a-t-il plaidé.
« Nous avons aussi besoin d’ordinateurs, d’imprimantes et tout le matériel qui va avec parce que pour le traitement, ce sont des fiches pré-faites qu’il faut remplir à l’écran une fois les doses déterminées puis les imprimer. Parce qu’on n’a pas d’ordinateur, d’imprimante et tout le matériel qui va avec, on a un logiciel de prescription qu’on n’arrive pas à utiliser », a indiqué, lors d’une précédente visite, Dr Line Couichéré, Oncologue-Pédiatre qui termine en interpellant les parents : « laplupart des cancers des enfants peuvent se soigner et se guérir. Mais, devant tout signe présenté par leur enfant qu’ils ne comprennent pas et qui persiste, je leur propose de ne pas aller au-delà de quatre (4) semaines. Il faut qu’ils consultent un médecin».
Patricia Lyse