Me Faustin Kouamé est constitutionnaliste et ex- garde des Sceaux, ministre ivoirien de la Justice. Dans cette interview, il lève un coin du voile sur le statut du vice-président ivoirien, près de 3 ans après la nomination d’un nouveau vice-président par le président Alassane Ouattara.
Monsieur le ministre, depuis les 13 juillets 2019, date de la démission du tout premier Vice-président de la République, son Excellence Daniel Kablan Dunan, la Côte d’Ivoire, retenant son souffle, attendait la nomination d’un nouveau Vice-président. Finalement, ce n’est que le mardi 17 Avril 2022, soit plus de deux (02) ans huit (08) mois, presque trois ans après la démission du Vice-président Daniel Kablan Duncan, que le président de la République, Alassane Ouattara a procédé à la nomination, devant le Congrès, du nouveau vice-président, en la personne de M. Tiémoko Meyliet Koné, précédemment gouverneur de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Monsieur le ministre, pourquoi le président de la République a-t-il attendu pratiquement Trois (03) années avant de combler la vacance de la Vice-présidence de la République ?
Merci à vous. Effectivement l’absence de nomination immédiate d’un autre Vice-président consécutivement à la démission du vice-président Daniel Kablan Duncan, le 13 juillet 2019, pouvait légitimement être interprétée diversement. Mais que dit la Constitution sur ce point ? L’article 55 de la Constitution, en son alinéa 2 dispose que le président de la République élu « choisit un vice-président de la République, en accord avec le Parlement ».
Comme nous pouvons le constater, aucun délai, même raisonnable (30, 60 ou 90 jours) n’est imparti au président élu pour nommer le vice-président. En sorte que le président de la République aurait même pu ne pas nommer le vice-président que le dernier jour de la cinquième année de son mandat !
Cela mériterait bien au contraire d’être salué car en 1980, la modification de la Constitution avait également prévu la nomination d’un vice-président devenue fantomatique, en ce qu’il n’avait point été nommé jusqu’au terme du mandat présidentiel. Il est donc évident, qu’on ne peut qu’apprécier la nomination d’un vice-président qui intervient dans un délai de deux ans et huit mois, lorsqu’il y a quelques décennies, on n’a pu le faire pendant cinq ans !
La rigueur républicaine commande à tous de demeurer justes, constants à travers les époques, quels que soient les dirigeants, les enjeux et les intérêts du moment.
En l’absence de délai contraignant, on ne peut que prendre positivement acte d’une nomination de vice-président intervenue dans un délai de deux ans huit mois, tant il est vrai qu’on l’aurait souhaitée plus tôt !
Monsieur le ministre, c’est dire vous approuvez une nomination si tardive du vice-président par le président de la République.
Il s’agit simplement d’être esclave de la Constitution ! C’est ce que la République attend de chacun d’entre nous. Il faudrait cependant qu’à l’avenir, le législateur-Constituant est constamment présent à l’esprit qu’une obligation constitutionnelle de nommer ou de faire, qui n’est pas enfermée dans un délai contraignant, risque de changer de nature et être interprétée par l’auteur de l’acte, comme l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, qu’il peut exercer quand, comment et où il voudra.
Le président de la République a désigné le vice-président de la République, devant le Congrès, le mardi 17 avril 2022. Peut-on savoir monsieur le ministre, si le Congrès pouvait s’opposer à cette nomination ?
Il convient de rappeler les dispositions de l’article 55, alinéas 2, selon lesquelles « le président de la République, en accord avec le Parlement choisit un vice-président de la République accord avec le Parlement ». Ce texte est bien différent de celui-ci : « le président de la République choisit un vice-président de la République, en accord avec la Parlement, qu’il convoque à cette fin en session extraordinaire. »
Nous comprenons donc qu’il n’est pas indispensable que le Parlement se réunisse en Congrès pour donner son accord à la nomination du vice-président, tant il est vrai cependant que le choix de cette procédure institutionnelle, met en exergue l’importance républicaine de l’événement.
Ensuite, le Parlement ne peut empêcher la nomination du vice-Président, mais il pourrait en revanche la retarder en marquant son désaccord, ce qui obligerait ainsi le président à présenter une autre personnalité.
Monsieur le ministre, un message particulier sur la Vice-Présidence ?
Pas spécialement sinon que me faire le porte-parole de ce que souhaitent la plupart des constitutionnalistes ; que le vice-président de la République ne soit pas le maillon faible de la Constitution.
Il serait souhaitable que cette importante institution, de lege ferenda, fasse l’objet d’une loi organique venant en tête de toutes les lois organiques qui régissent les institutions prévues par la Constitution. De la sorte, le vice-président, à défaut d’être élu comme le prévoyait la Constitution, avant la loi constitutionnelle N° 2020-348 du 19 mars 2020, ne soit pas totalement soumis à la précarité présidentielle.
Réalisée par Benoît Kadjo