Foua Layé Bi (Pdt des fournisseurs de l’Etat) : « La dette intérieure de l’Etat auditée et non payée est de 357 Milliards de FCFA »

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Comment se porte aujourd’hui le secteur des fournisseurs de l’Etat ?

Il se porte très mal. Je dis bien très mal aujourd’hui avec les nouvelles donnes. Les banques ne sont pas accessibles. Nos factures ne sont pas régulièrement payées. Et ça, c’est quand l’on veut faire quelque chose. Les gens font des retenues sur les factures. Ce qui est grave, c’est que les ordonnateurs de crédit font des retentions sur leur budget. Quand on vote le budget, c’est pour assainir les dépenses de l’Etat. Certains arrivent même à créer des entreprises écran pour s’octroyer des marchés. Dans tous les pays du monde, la place des PME est cruciale puisque ce sont elles qui actionnent le développement. Si un ordonnateur de crédit crée une entreprise pour s’octroyer des marchés et cela au détriment des PME, ce sont les PME qui vont mourir.

Ce sont des accusations aussi graves. Avez-vous les preuves de ce que vous avancez ?

Les preuves sont là. Dans certains Ministères, l’appel d’offre est fermé. Elle se fait en catimini, entre les quatre murs. On ne dénombre pas plus de vingt postulants lors de ces appels d’offre alors que nous sommes des milliers de fournisseurs de l’Etat qui pouvons concourir. On suscite des candidatures. On fait signer à un cousin, petit frère, un neveu qui gère nos biens pour venir postuler. Ce sont des PME parfois, prête-nom, qui raflent les marchés. On le fait pour dissimiler l’origine du vrai propriétaire.

Si on diligente un audit, on découvrira très vite que ces entreprises qui arrachent facilement les marchés dans des Ministères ont un lien étroit avec des responsables desdits Ministères.
Telle que dépeinte la situation, l’avenir des PME est donc menacé et on peut se demander si elles peuvent encore obtenir des marchés de l’Etat ?

En 2008, il y avait un trésorier payeur du nom de Cissé Kader. Celui-ci n’avait rien avoir avec la CCT. Il était à la paierie générale. Ce monsieur n’avait aucune coloration politique. Tu présentes ta facture, dès qu’il constate la régularité et qu’il a de l’approvisionnement, il te paie. En ce moment-là, on n’avait pas de problème. Avant la prise du pouvoir par le président Ouattara, il y a eu des factures sous Laurent Gbagbo de près de 550 Milliards de FCFA. Ce montant a fait l’objet d’un audit. On ne sait pas pourquoi. On nous a simplement fait savoir que les gens n’ont pas travaillé. Mais là où y a problème, c’est que les contrôleurs financiers, gendarmes de l’Etat, avaient déjà validé les dépenses.

A combien estimez-vous aujourd’hui la dette de l’Etat envers les fournisseurs ?

La dette intérieure de l’Etat de Côte d’Ivoire, qui n’est pas encore payée et qui a fait l’objet d’audit est estimée à 357 Milliards de FCFA.

Qu’est-ce qui bloque alors ?

On nous dit que les dépositaires sont introuvables dans les services. Il y a eu beaucoup de déplacés pendant la crise politico-militaire. Or il suffit de s’en tenir aux rapports des contrôleurs financiers pour régler le problème. Puisque si on estime qu’on n’a pas trouvé les factures et que les dossiers ne peuvent pas être validés. Aujourd’hui plusieurs opérateurs économiques sont décédés sans avoir touché leur dû. Beaucoup d’autres factures n’ont pas été validées. Sont-elles en instance ? On ne sait pas. Alors qu’on nous dise quels sont les dossiers qui n’ont pas été validés et les raisons qui les justifient.

Quelles sont les démarches effectuées dans ce sens pour avoir gain de cause ?

J’ai fait deux courriers aux premiers ministres. Un au premier ministre Duncan et un au premier ministre Gon Coulibaly. Tous ces deux courriers sont restés sans suite. Récemment un autre a été adressé au premier ministre Hamed Bakayoko. (Entretien réalisé le samedi 27 février 2021).

Avez-vous donc le sentiment que vous n’êtes pas écoutés ?

Bien sûr. En temps normal, on doit nous écouter. Tous nos courriers n’ont eu aucun retour et ça ce n’est pas normal ! Nous pensons donc que nos dirigeants ne nous écoutent pas. Ils ne sont pas sur le terrain pour voir la réalité des choses. C’est pourquoi nous les invitons à écouter le plus souvent les plaignants ou les victimes qui donnent de la voix.

Avez-vous un appel à lancer ?

Un opérateur économique n’est pas un homme politique. Il peut travailler avec tous les régimes en place. Souvent les gens font l’amalgame. On attribue un militantisme politique sur l’appartenance ethnique ou par votre patronyme. Pour nous, ce qui importe, c’est le développement du secteur des PME pourvoyeur d’emploi. Nous sommes plus d’un millions de contribuables en Côte d’Ivoire. Nos impôts font vivre l’Etat. Si nous n’existons plus, si nous n’avons plus de marchés, cela va affecter les caisses de l’Etat puisque les gens qui nous font la concurrence déloyale ne paient pas souvent d’impôts où le font au rabais. Nous n’avons pas eu de marchés, mais les impôts nous courent après. Comment régler donc nos factures si nous n’avons rien. Alors qu’on nous aide pour que le pays avance.

Réalisée par : Le Réseau des Journalistes Engagés contre la Corruption et l’Injustice (RJECI)